Éloge du minimalisme à l'iranienne
Lorsque nous entrons dans la maison, qu'elle soit bourgeoise ou populaire, nous sommes immédiatement frappés par le vide. Non pas ce vide lugubre et blafard comme on peut le trouver dans un appartement fraîchement acheté ou déménagé mais un vide riche et soyeux. Ce vide a des couleurs dorés et chaudes, il apparaît immédiatement confortable et accueillant et on n'éprouve qu'une envie, celle de s'y installer avec une tasse de thé brûlant et un melon frais, lové dans les tapis persans doux et épais couvrant le sol. En France, il nous fait peur et le cachons derrière une montagne de bibelots. En Iran, on le cherche et on l'accueille à bras ouverts.
Passé le choc initial, nos yeux s'habituent à ce nouvel environnement. Les images affluent à notre cerveau pour déchiffrer petit à petit ce code culturel nouveau. La pièce principale fait au moins 40 mètres carrés. Sur la gauche, un ou deux canapés sont plaqués le long du mur face à une télévision un peu trop souvent allumée. Tout ne peut pas être parfait. Quelques chaises décoratives viennent de temps en temps compléter l'ensemble. Au centre de la pièce tout juste oserons nous y placer quelques poufs ou une petite table basse. Encore est-il exagéré de parler de centre, ceux-ci nous semblent s'excuser d'être là et s'installent aussi proche que possible d'un côté de la pièce. Ou peut-être de peur d'abîmer le tapis ? Pas de grande table, pas de bibliothèque haute et massive ni buffet. Nous dînons sur une nappe en plastique à même le sol. Lorsque nous avons terminé et tout débarrassé, nous pouvons installer de petits matelas ou une couverture épaisse et y dormir. Nous pourrions accueillir dix convives à y passer la nuit. Avec une hauteur sous plafond légèrement plus élevée que ce que nous connaissons, le modeste deux pièces se donne des airs de salle de réception d'un château de province. Une grande cuisine ouverte et tout aussi spacieuse - pouvons-nous ironiquement parler de cuisine américaine ? - vient faire honneur et compléter le palace.
Du reste, notre tour du propriétaire est déjà presque complet. Des toilettes et une salle entièrement dédiée à la douche. Hammam en farsi, ça dit tout : là où les italiens ont tenté d'épurer au maximum en ne conservant de la douche qu'une cloison vitrée, les iraniens ont poussé l'exercice encore plus loin. Dernière étape de la visite, deux petites chambres, une pour les adultes, une pour les enfants. Parfois nous y trouvons un lit, parfois de simples matelas posés à même le sol. Les tapis sont partout et marquent là où nos pieds nus peuvent se poser sans heurt. On se déchausse toujours avant de pénétrer dans une maison. Parfois même avant d'entrer dans l'immeuble.
La mosquée n'est pas en reste. Au premier regard, on se sent un peu comme chez nous. Quelle meilleure façon pour propager une religion que de créer des lieux de culte attractifs et confortables ? Là où les églises sont austères, étriquées, sombres et moroses, les mosquées sont lumineuses, aérées et volumineuses. Les églises nous montrent la mort à chaque recoin, les mosquées sont pleines de vie. On s'y sent libres. Certains s'allongent sur la moquette épaisse et finissent inévitablement par s'endormir. Quelques fois, des enfants jouent et courent. Que le Dieu auquel nous croyons soit dans le ciel ou autour de nous, en l'intérieur de chacun, dans une formule mathématique, ou dans son iPhone, la mosquée pourrait reprendre le slogan de mac do, venez comme vous êtes.
Se débarrasser du superflu autour de soi, c'est aussi se débarrasser du superflu dans sa tête. Moins de stress, une vie intérieure et relationnelle plus riche. Les iraniens l'ont bien compris. Malgré la frustration d'être à la traîne du monde, ils gardent une forme de nonchalance et de joie de vivre. Une vie intérieure rangée est-elle la clé d'une vie plus résiliente ?