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Suivre une rivière pour visiter la Géorgie, le plan nous paraissait parfait. On se la coule douce (jeu de mot) jusqu'à Tbilissi. Bien sûr ce n'est pas si simple, le Caucase aime à réserver quelques surprises.
Le passage de frontière est toujours un moment d'incertitude. Les gardes n'ont pas l'habitude de croiser des cyclistes et nous n'avons évidemment pas de passage dédié. Peut-être les Pays-Bas seraient ils l'exception s'ils en avaient encore ? La situation ici est symbolique : en Turquie, on nous demande de passer côté piéton. S'en suit environ deux kilomètres de marche dans un bâtiment désert digne d'un hall d'aéroport. Les Turcs nous démontrent une dernière fois leur goût pour la démesure si on en doutait encore. En Géorgie, nous sommes accueillis par une oscillation de la tête : nous devons retourner côté voiture. Il est l'heure de déjeuner et nous constatons que plus personne ne passe. Il faudra patienter jusqu'à 13h30 pour comprendre que les fonctionnaires étaient en pause déjeuner. Ils daignent à peine entrouvrir notre précieux document et nous laissent partir. À la réflexion, on préfère ça à un contrôle poussé, ça nous laisse le temps de réviser le géorgien. Nous nous sentons immédiatement analphabètes. Nous entrons dans une région où ne pouvons plus décoder les panneaux et les produits au supermarché. On remercie vivement ceux qui ont décidé d'indiquer des traductions en anglais ou à défaut en russe.
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Après la frontière, c'est la déception, ça monte encore. On pensait en avoir fini ! Et si ça redescend un peu plus loin, c'est pour mieux remonter. En cinq kilomètres à peine, notre merveilleux plan tombe à l'eau : nous sommes entrés dans un enfer de bosses, vous savez celles qui cassent les jambes. Les premiers villages croisés sont faits de petites maisons de pierre grise agrégées opportunément selon les caractéristiques topographiques du terrain. L'herbe pousse sur les toits plats et sur les murs, les fenêtres et les portes sont réparées avec les moyens locaux. Des enfants jouent et nous saluent, les poules creusent joyeusement la terre le long de la route. L'ambiance est rurale et paisible, c'est parfait pour reprendre son souffle. Seul problème, on n'a toujours pas d'argent et sans monnaie locale, on se sent un peu démuni. Il faudra faire un détour pour trouver un distributeur de billets.
Le pays se découvre enfin. Comme la porte d'entrée que nous cherchions depuis notre arrivée, nous nous retrouvons dans un canyon. D'abord étroit et peu élevé pour ne pas trop en laisser voir, il s'élargit au fur et à mesure pour laisser place à de vraies grandes et belles collines verdoyantes d'où s'échappent quelques cascades qui viennent ruisseler le long de la route. On se dit qu'on a bien fait de passer par là. Au moins, cela nous fait oublier ce vent de face pénible qui nous accompagnera tout au long du pays.
Nous bifurquons sur une petite route qui monte et qui descend, le long d'une rivière, enjambe quelques falaises orthogonales pour nous amener in fine à Vardzia, l'un des sites notables du pays. Une église troglodyte y est construite parmi les dizaines de grottes creusées à même la falaise. Un couple russe a entrepris de se photographier dans chacune d'entre elles, trépied sous le bras. L'odeur forte de cierges qui brûlent nous attrape dès notre entrée. La lumière est tamisée et l'ambiance propre à l'introspection. Sans prévenir, nous pénétrons dans un véritable labyrinthe de couloirs et de pièces. Une petite grotte nous mène à une source découverte au milieu des rochers. L'eau se repose calmement dans un bassin creuser dans la pierre. Des moines vivaient là reclus il y a quelques centaines d'années.
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Nous parcourons la route des châteaux médiévaux. Chacun a ses spécificités : celui dont il ne reste qu'un mur sur le bord de la falaise, la tour intégrée au corps de ferme, celui parfaitement conservé ou encore celui transformé en hôtel avec une mosquée au toit doré construite au milieu. Nous alternons entre l'ambiance "châteaux des pays Cathare" et les incongruités architecturales. La flore redevient très verte avec une majorité de feuillus, l'eau coule dans les rivières. On se sent un peu à la maison. Rien de tel qu'un voyage pour mieux reconnaître ce qui caractérise son chez-soi.
Après plus d'un mois à traverser une partie de la Turquie, la Géorgie nous semble minuscule. On pourrait en faire le tour en moins de temps qu'il ne faut pour apprendre à déchiffrer l'alphabet. C'est le genre de pays où on a l'impression qu'on peut prendre son temps, flâner. Lorsqu'on le décidera, on peut plier bagage et partir. Qu'il est bon d'alterner vastes étendues et paysages plus intimes, liberté de pouvoir aller partout et liberté de pouvoir s'en échapper. En voilà deux agréablement incompatibles.
Nous passons à Borjomi. La ville est célèbre pour son eau pétillante, un peu la Badoit du coin, et avec du goût en plus. C'est un lieu de vacances prisé avec ses cours d'eau, ses immeubles soviétiques chics en béton et son gigantesque parc national à proximité. Nous prenons conscience de ce qui caractérise les villes géorgiennes : les arbres. De loin, on a l'impression que des bâtiments ont poussé au milieu de la forêt. S'il y avait moins de gens, on penserait à un paysage post apocalyptique où la nature a repris ses droits, ou à Charleroi pour les moins romantiques. Qui dit lieu de villégiature dit aussi malheureusement routes circulantes. On est frôlé régulièrement sur les voies étroites, on viendrait même à regretter les deux fois deux voies turques.
C'est le début de l'enchaînement des villes touristiques. Elles ont toutes un charme discret qui leur est propre. Nous flânons dans les rues piétonnes de l'ancienne capitale, Kutaisi. Nous contemplons la maison de naissance de Joseph Staline à Gori avant de nous imprégner des larges rues et du musée dédié qui sentent la nostalgie d'une époque révolue. Nous arpentons la surface d'un très gros rocher à Uplistikhe, vestige d’un village millénaire duquel il ne reste que quelques grottes et une fière église trônant au sommet. Nous dégustons quelques pâtisseries dans l'échoppe d'un village en bois aux allures de marché de Noël à côté de la très jolie église fortifiée de Mskheta. Tout ça fait des arrêts plaisants sans nécessiter d'y passer la nuit. Je me sens analphabète dans ma capacité à comprendre le poids de l'histoire et de la culture qui nous entourent. On se demande comment le vivent ceux qui ne font que passer en autocar : qu'attendent-ils ? De quoi se souviendront-ils ?
Nous sommes de retour dans le monde chrétien. Quoi qu'on pense des religions, l'influence culturelle est significative. L'hospitalité spontanée est nettement moins présente qu'en Turquie. Les habitants sont plutôt froids à la première approche. De façon grossière, nous nous sentons plus proche de la Russie que du Moyen-Orient. Cela n'empêche pas les invitations ponctuelles au... Cognac local ! Annie ne tient pas l'alcool, moi je n'aime pas ça, ça nous vaudra de longues négociations pour limiter la quantité servie. On l'avoue, on préfère le thé, c'est un peu plus consensuel.
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On arrive à Tbilissi en longeant un quai qui nous fait bigrement penser aux quais de Seine. Les bâtiments anciens en tuf n'y sont pas pour rien. En y regardant de plus près, évidemment, on trouve des différences : des structures modernes plus ou moins étonnantes, des bâtiments soviétiques et surtout des routes faites pour les voitures. Imaginez un axe de plusieurs kilomètres sans feux avec seulement quelques tunnels pour permettre aux piétons de traverser sans interrompre le flux continu. Nous risquons notre vie chaque fois que nous sortons le vélo.
C'est un hub cycliste, là où ceux qui s'apprêtent à traverser la mer caspienne croisent ceux qui vont en Iran, ceux qui font demi-tour après être allé au bout de l'Europe rencontrent ceux qui font le tour de la mer noire. Nous qui n'avions rencontré quasiment aucun cyclotouriste jusqu'à présent découvrons un petit monde. Celui des groupes WhatsApp d'entraide et de rencontre "je suis à x et vais vers y, quelqu'un veut faire la route avec moi ?". Nous découvrons également une variété de pratiques que nous n'imaginions pas, ceux qui prennent le bus plus que le vélo côtoient ceux qui tentent l'aventure en ultraléger. On prend conscience de la bulle informationnelle dans laquelle on était, pas besoin de Facebook pour se mettre des œillères. L'ambassade d'Iran est un autre passage classique, on s'y retrouve tous à l'ouverture. Nous croisons deux Belges francophones et nous échangeons les quelques astuces pour avoir le prochain sésame. Enthousiastes de pouvoir partager nos expériences dans notre langue natale, la rencontre se poursuivra jusqu'au dîner comme des vieux amis qui se retrouvent après plusieurs années.
Nous remontons vers les lacs du sud pour retrouver l'ambiance charmante du Caucase aérien. Nous longeons une ligne de chemin de fer à 2000 mètres d'altitude, électrifiée en plus ! Saluons l'exploit des ingénieurs. Une rivière zigzague au milieu des champs dorés à la sortie du plan d'eau, l'emplacement de camping est idéal et en ferait rêver plus d'un. Le seul problème : les nuées de moucherons qui se réveillent à la tombée de la nuit. Nous croisons par hasard en sens inverse un jeune couple allemand que nous avions rencontré en Grèce, le monde est vraiment petit !
Nous ruinons notre programme de la journée lorsque nous rencontrons un nouveau couple de cyclistes francophones avec qui nous préférons passer la matinée devant un kebab et un café (selon une appropriation personnelle de la gastronomie géorgienne). Il y a des occasions qui ne se présentent pas tous les jours et il faut choisir ses priorités. Ce pays restera pour nous le pays des rencontres qui se font et se défont. Nous nous sommes séparés de notre ami allemand après un mois de voyage en commun mais nous avons eu l'occasion de partager plus que pendant tout le reste du voyage. Nous nous sentons faire partie de la grande communauté des voyageurs à vélo.
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