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Après quelques kilomètres sur la route principale pour échapper à la frontière, nous bifurquons sur une voie de traverse. Au milieu d'une plantation d'hévéas, nous suivons une route toute neuve qui saute de village en village, zigzague au détour d'une maison puis débouche sur une rizière à l'ombre d'un massif rocheux et majestueux. Des taureaux aux cornes démesurées relèvent lentement la tête pour nous regarder passer en finissant une touffe d'herbe. Les habitants nous saluent et nous encouragent. Le pays aux milles sourires ? On valide.
Si les humains sont bienveillants, on ne peut pas en dire autant des animaux. Plus c'est petit, plus c'est vorace. La plupart des chiens sont ébouriffés, blessés, boiteux ou sans queue. Les plus énervés aboient sur chaque quidam et nous poursuivent par plaisir. Les macaques se réunissent en bande organisée pour semer la terreur dans les parcs nationaux ou voler le labeur des pêcheurs. Les coqs chantent à longueur de journée pendant que les poules travaillent. Les moustiques rodent de jour comme de nuit en quête de sang frais. Les fourmis attendent patiemment sous terre pour sortir lorsque la tente est posée et... la goûter ! Notre tarp est constellé de trous ; les sacoches, pourtant scellées, sont envahies. Nous sommes le festin au milieu du zoo.
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Changer de pays, c'est s'adapter. Mais d'abord on résiste. On cherche le confort de ce qu'on connaît. Quelques paquets de biscuits achetés en vain. Ils sont au mieux mauvais, le plus souvent introuvables. La collation de dix heures se fait au restaurant. Des nouilles en soupe. Le déjeuner, des nouilles sautées. Le diner, des nouilles instantanées. Nous protestons, nous petit déjeunons du pain de mie et du beurre de cacahuètes acheté rubis sur l'ongle. Il doit occuper une bonne place dans la nourriture la plus mondialement disponible. Dommage pour le fromage. Il faut s'adapter aux coutumes d'hygiène. Les toilettes turques ont leur variante pas trop éloignée en Thaïlande. Ça on sait gérer. Mais la douche froide au seau d'eau, c'est beaucoup demander. Je l'avoue, j'en laisse passer quelques-unes. Annie n'en laisse échapper aucune. Je finis même par prendre froid. En plein climat tropical. Après tout, c'est l'hiver dans l'hémisphère nord.
Nous filons vers le nord. Nous parcourons cette immense péninsule avec un pénible vent de face permanent qui n'est compensé que par la faible dénivellation du terrain. Mille kilomètres. Les prolongateurs deviennent mes meilleurs amis. Nous faisons des relais, Annie est en tête tous les cinq kilomètres. D'abord sur la côte ouest, notre route est jalonnée par les panneaux d'évacuation en cas de tsunami. Le dernier tristement célèbre date de 2004. Ils nous font plus peur qu'une hypothétique agression. Nous faisons une pause à Krabi, un resort connu mais sans charme, fréquenté par des touristes aux bras plâtrés, victimes d'accidents de moto - la première cause de blessure et de mortalité du touriste en Thaïlande. Nous nous arrêtons juste le temps de planifier la prochaine escale. Nous embarquons pour Khao Sok Lake, initialement un lac de barrage converti plus tard en parc national. Nous nous y aventurons en bateau, vacances dans les vacances. Une nuit paradisiaque dans une paillotte construite sur l'eau. Pas d'électricité, pas d'internet, de l'eau froide pour la douche. Encore. L'écrin de nature dans lequel nous nous sommes installés nous offre un luxe qui se suffit à tous les autres.
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Nous basculons sur le Golfe de Thaïlande à l'est. Un peu moins connu des étrangers, urbanisé sans démesure. Si je voulais passer des vacances dans un hôtel avec piscine, ce serait là avec ses quelques plages encore naturelles à portée de vélo. Début décembre, les infrastructures sont encore largement désertes mais commencent à frétiller dans l'attente de la saison qui va commencer. Nous traversons le Hat Wanakon National Park en entrant par une petite porte sans faire exprès et sans payer. Nous nous arrêtons sur le front de mer bien propre, protégé par une jolie pinède projetant son ombre sur les quelques tentes plantées. Le tout a une forte ambiance de Landes, la fréquentation en moins. Nous sortons par la grande entrée, le garde nous ouvre la barrière sans rien dire. Je commence à comprendre pourquoi tant de gens viennent en Thaïlande. Les gens sont calmes et souriants, accueillants. Il fait beau, le pays est développé, les infrastructures de qualité, le tourisme pas si présent dès qu'on s'éloigne. La cerise ? Des pistes cyclables. Nous n'en avions pas vu depuis la Slovénie.
Sur les conseils d'un cyclotouriste, nous toquons à la porte des temples. Parler d'un temple est réducteur. Sur une surface au minimum d'un hectare, plusieurs bâtiments rouges et or aux usages pas toujours évidents. Ils forment un vaste complexe entretenu par quelques moines, parfois plus occupés à fumer ou jouer avec leur téléphone. Le seul risque d'y camper, c'est de ne plus vouloir aller ailleurs. Non seulement nous avons la sécurité, les toilettes, la douche et l'électricité mais aussi le ventilateur et la surface en béton, quelques chaises et une table. Exceptionnellement un bac à glaçons et une bouilloire. Nous sommes bercés par les prières méditatives aux consonances nasales chantées par les moines jusque tard le soir, parfois aussi dès cinq heures du matin. En revanche, on enlève une étoile pour sa faune locale : coqs, chiens et chats procurent une tranquillité tout à fait variable.
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De nombreux villages construits au bord de l'eau sont faits de maisons sur pilotis, de terres gagnées sur la mangrove, d'une jetée récemment bétonnée. Des villages de pêcheurs pauvres mais à l'ambiance paisible et bienveillante. Les rues sont juste assez larges pour permettre aux motos-side-car de passer. Ce side-car au montage bricolé, nous le retrouvons partout. C'est le moyen de transport numéro un et il peut aussi bien porter une petite famille qu'un stand complet de restauration. Lorsque les besoins sont plus importants, on passe au pick-up. Par exemple, en ajoutant une cabine à l'arrière on peut aisément transporter une vingtaine d'enfants à l'école.
La végétation a changé. Les palmiers à huile et les hévéas se font beaucoup plus rares. Les cocotiers semblent se satisfaire surtout du bord de mer. Dans les terres, on se croirait... en France ! Les champs de riz à secs pourraient presque se faire passer pour du blé, quelques pins nous rappellent les pinèdes du sud de la France. Seul indice, les champs d'ananas. Eh oui, les ananas, ça pousse au sol ! Nous nous installons dans un restaurant, observons un train passer. Ce n'est qu'une fois qu'on ne l'entend plus que la signalisation se met en marche. Dix minutes de sirènes assourdissantes sans aucun signe de nouveau train. On fera attention au prochain passage à niveau.
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Nous allons dormir chez Paul, un expatrié/immigré installé depuis 11 ans. Bon vivant et attiré par la vie simple possible ici, jamais il ne retournera vivre dans son Australie natale. Pour les vacances ça suffit. Bavard et affable, il nous trouve même un camembert pour nous accueillir. Après avoir fait le tour de la Thaïlande à vélo - 10,000 kilomètres quand même -, il s'est construit une maison autour de deux conteneurs de cargo. Juste l'espace intérieur qu'il faut dans un pays où on vit dehors. Nous suivrons les précieux conseils distillés ce jour-là.
Lorsque nous quittons notre Warmshowers, nous savons que nous nous approchons désagréablement de Bangkok. Les routes sont plus fréquentées et les temples moins accueillants. Nous savourons chaque instant de campagne glané sur le bord de la route. Eh oui, ça existe ! La randonnée se fait plus urbaine mais en passant les ruelles, nous découvrons toujours quelques pépites, une route construite au-dessus de l'eau qui nous emmène au milieu de la mer, un temple taoïste exubérant ou un varan qui s'est perdu. Nous prenons un bac à la ligne de flottaison dangereusement haute pour traverser un chenal au milieu des cargos. Nous sommes à l'extrême nord de notre étape, désormais nous roulerons à nouveau vers le sud désormais. Nous n'avons qu'une seule pensée en tête : le vent dans le dos !
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Nous arrivons à Pattaya. J'ai en tête la description faite par Houellebecq, l'épicentre d'un tourisme sexuel sordide. Nous y passons de jour et je dois bien avouer qu'il n'a pas totalement tort. Des cheveux gris bedonnants se promènent avec de jeunes thaïlandaises. Les bars à gogo danseuses se succèdent. Des hôtels tous plus hauts les uns que les autres se bousculent en front de mer. L'étroite bande de sable blanc est couverte de parasols et la mer grouille de moteurs en tout genre. Le centre de la ville tourne autour de Walking Street : de grands bâtiments masquent la plage juste derrière, de tout aussi gigantesques panneaux publicitaires plus ou moins douteux obscurcissent le ciel jusqu'à créer une ambiance un peu glauque même par un grand soleil d'après-midi. Nous mettrons plusieurs heures à nous faufiler entre gros axes bouchonnées et petites rues qui zigzaguent. On peut respirer à nouveau.
Une dernière ville moyenne marque le début de la fin. Les villages se font de plus en plus rares. Nous sommes dans une petite bande de terre coincée entre la mer et les montagnes de cardamome marquant la frontière avec le Cambodge. Le territoire thaïlandais le plus étroit apparemment. Un dernier temple, un dernier village, un dernier marché et quelques fruits. Même les échoppes se font plus rares. Ce n'est que partie remise, la Thaïlande est si grande et si accueillante, nous sommes obligés de repasser.
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