Comme beaucoup de visiteurs de passage à Athènes, je suis allé voir l'Acropole. Le produit est plutôt cher (gage de qualité), bien visible depuis le reste de la ville (placement excellent) et fait miroiter un retour à l'antiquité doublé d'un point de vue exceptionnel sur la ville (l'expérience utilisateur). En tant que produit culturel public, il bénéficie d'arguments supplémentaires : son honnêteté intellectuelle inspire naturellement confiance, je réalise une bonne action morale (me cultiver) et je finance un site qui risquerait de tomber en ruines. Je l'ai visité religieusement en lisant les différents écriteaux et en suivant le parcours fléché. J'en suis ressorti satisfait mais sans plus, j'ai eu ce qui était vendu et je ne me suis pas vraiment posé de question. Les jours ont passés et à la réflexion, non, je ne recommanderais pas ce site. C'était évident et évitable, j'ai simplement été victime d'une campagne marketing.

Prenons un peu de recul. Le tourisme au sens large n'échappe plus à la logique de marché. Les sites culturels, naturels et architecturaux, les activités et loisirs sportifs ou spirituels ou encore les villes et régions sont autant de produits qui doivent se démarquer pour augmenter leur valeur intrinsèque (le capital) et attirer un maximum de chalands (et donc de profits). La montagne, ça vous gagne par ci, un stage de méditation par là, nous croulons sous les offres nous promettant une expérience différente mais toujours fantastique. Comment sommes nous influencés ?

D'abord par la publicité. On la trouve dans des médias généralistes de façon classique (affiche dans les transports en commun, encart dans un périodique) ou bien déguisée, par l'intermédiaire de tiers réputés de confiance (des guides de voyage, des sites internet remplis de commentaires clients élogieux). Tous ont en commun un vocabulaire choisi utilisant à foison les superlatifs : un site d'exception, un indispensable, le meilleur de la ville, etc. Ces mots n'ont pourtant aucun sens utilisés de façon impersonnelle. Mon top 10 des visites ne sera certainement pas celui de mon voisin, je n'ai pas envie d'aller dans les mêmes restaurants et quant à savoir si je préfère l'art grec ou l'art contemporain, Google n'en sait rien (enfin je l'espère).

Vient ensuite l'utilisation d'une marque ou d'un label externe : plus beau village, UNESCO, étoile Michelin, etc. Elles donnent souvent une image d'impartialité et de respectabilité. Les gestionnaires de site le savent : tel label génère un certain nombre de milliers de visiteurs en plus, ce qui provoque une hausse des prix et donc des bénéfices. Demander et adhérer à un label est toujours à l'initiative du site, cela coûte souvent de l'argent et est considéré comme un investissement en vue d'une rentabilité future. Bien sûr, mon cynisme est un peu forcé et on trouvera toujours des exceptions, surtout dans des lieux moins fréquentés.

Enfin les classements. Les dix plus beaux hôtels, les dix meilleurs restaurants, les cent lieux à visiter avant de mourir. Les critères sont la plupart du temps arbitraires et opaques. Pour des raisons identiques aux discours publicitaires, la démarche présentée comme objective peut cacher des intentions et intérêts moins nobles. Ce genre de guide peut être une porte d'entrée à des bons moments mais nécessite d'être pris avec du recul et des pincettes.

C'est ainsi que moi, peu amateur d'architecture grecque, je ne pouvais que rester sur ma faim en découvrant les quelques colonnes du Parthénon encore debout, malgré ses 4.5 étoiles sur TripAdvisor, son label UNESCO et son classement de numéro 3 sur les 316 choses à faire à Athènes. Ces démarches ont un effet pervers, celle d'attirer les foules, dégradant l'expérience du visiteur et potentiellement le site visité. "Tu n'es pas dans la foule, tu es la foule". C'est en n'allant pas dans les sites les plus fréquentés que nous contribuons à une meilleure expérience pour ceux qui ont de l'intérêt pour ce type d'endroit. J'entends par là autre chose que publier un selfie sur Instagram.

J'ai parfois l'impression que nous visitons les villes et les pays comme nous regardons la TV. L'offre est variée après tout. On peut choisir la TV classique qui déroule un programme efficace et rodé (l'agence de tourisme), s'orienter vers des chaines spécialisées où choisir son ses VOD avec un choix plus ou moins vaste (en backpacking et guide de voyage). Les auberges de jeunesses sont pleines d'individus qui passent leur temps à faire défiler le catalogue Netflix du tourisme local. Notre choix est généralement illusoire puisque guidé par un corpus limité et noté de façon simplifiée, souvent attirés par des points précis sur la carte bénéficiant de toutes les infrastructures touristiques nécessaires.

Je me souviens encore de ce champ de lavande en haut d'une colline en Provence ou encore de cette petite route en Sardaigne. Aucun des deux n'était cité sur internet ou dans un guide. C'est sans doute pourquoi ces surprises étaient merveilleuses et je m'en souviens encore. Bien entendu, tout n'est pas a jeter dans les guides. Il ne faut simplement pas les suivre aveuglément et toujours s'interroger si ce qui est proposé le correspond vraiment et quels sont les critères utilisés.

Choisir d'aller dans des lieux moins connus, c'est encourager la diversité de l'humanité. C'est devoir faire l'effort de la recherche et prendre un risque d'être déçu. Mais si on ne s'attend à rien, on n'est jamais déçus, on ne risque que la bonne surprise. Cette incertitude me semble importante pour la satisfaction. Il est émotionnellement plus valorisant et marquant de voir par hasard une biche traverser la route que de passer quelques heures à faire la queue dans un parc d'attraction. En plus, c'est souvent moins cher.