L'Italie, ça me botte, ou l'histoire d'un road trip sur la Strada Stratale 18

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Oui, ça fait moins rêver que la route 66 ou que la panaméricaine mais elle aura été notre fil d'Ariane pendant la semaine qui séparait Naples de l'extrême sud de l'Italie. La route en elle-même est plutôt plate et, on l'avoue, après les diverses montagnes insulaires, on l'a un peu choisie pour ça. Le paysage et nos émotions auront connu, quant à eux, une succession de hauts et de bas.

En débarquant à San Giovanni, on s'attendait quand-même à un peu de vie. On n'est plus très exigeants : juste un endroit où s’asseoir et un café, un lieu où nous pourrions faire une pause pour préparer l'itinéraire. Nous trouvons à la place des immeubles fermés et des routes vides. On imagine la boule de paille traverser la rue, John Wayne et Clint Eastwood qui sortent du saloon le pistolet à la main. L'ambiance n'est pas franchement à la rigolade. Alors on avance, tant pis. Rapidement, nous sommes sur une petite route qui serpente à flanc de falaise. La Méditerranée parée de son plus beau bleu et surmontée du soleil sur le couchant à notre gauche, la roche blanche et brute d'une falaise verticale dont on ne voit pas le haut à droite, le vent dans le dos, la déception précédente est oubliée. Cette fois, ce pourrait être James Bond qui nous double dans son Aston Martin décapotable, une grande blonde plantureuse sur le siège passager. En guise de célébration, nous avalons une brioche ouverte et fourrée de trois généreuses boules de glace (spécialité Sicilienne) sur un bord de plage digne d'Alerte à Malibu. Les surprises vont bon train. À Scillia, nous découvrons une via annunziata à peine assez large pour faire passer les deux files de piéton. Elle nous enserre de hautes maisons en pierre, laissant tout juste de temps en temps un espace pour voir une ou deux barques posées nonchalamment sur la mer à leur pied. Il y a de quoi faire pâlir quelques "plus beaux villages de France". La route remonte vers une forme d'apothéose nous offrant des points de vue sur la côte à couper le souffle.

La route redescend et la magie avec. Nous avons dû changer de pays, ou de dimension peut-être. Les paysages deviennent industriels, sales et monotones. Les voitures nous dépassent plus fréquemment, nous frôlent. Nous slalomons entre les nids de poule (enfin, on pourrait parler d'autruche à ce niveau-là) et patchs de toute sorte. Les boules de glace dans la brioche sont plus petites, notre carnet de bord également. On se demande ce qu'on fait ici. Nous croisons alors quelques cyclotouristes qui ont dû errer jusqu'ici par accident. Pour se donner du courage, on achète un kilogramme de fraises à une vieille dame. Elle prend une barquette vide et file en cueillir d'autres dans son champ juste derrière. On peut difficilement faire plus frais et plus local. Le doute laisse place à l'espoir, peut-être n'avons-nous pas fait un si mauvais choix.

Subtilement, les pâtisseries paraissent meilleures. Des babas au rhum (spécialité de Naples) font leur apparition. Les zones de plaine dans lesquelles nous avions glissés laissent place à de petites collines sur notre droite. De temps en temps, des maisons colorées ont été saupoudrées au sommet. Le village semble réussir à épouser parfaitement le relief parfois ingrat de la région. Nous passons à proximité d'une immense statue du christ construite sur une colline près de Maratea, comme un pied de nez à Rio de Janeiro mais nous ne nous y arrêtons pas. Le Lonely Planet nous apprendra plus tard que c'était quelque chose à voir. Nous avions d'autres priorités. Des criques se forment, notre route en ligne droite épouse désormais ces courbes. Le paysage se cache un peu, ne se dévoile plus complètement. La SS18 remonte, elle enjambe quelques vallées. En contrebas, nous apercevons une route secondaire qui préfère jouer aux montagnes russes. On est bien tout compte fait sur notre "autoroute".

Notre univers et nos perspectives se rétrécissent, et deviennent plus verticales. Nous pénétrons le parc de Cilento. Les voitures se font rares. Nous tombons sur un carnaval. Un policier nous propose de prendre une déviation mais nous préférons simplement le traverser en utilisant nos jambes ; des Rubik's Cube et des Lego humains nous encouragent. Ironie de la mondialisation, les clichés italiens inventés par les japonais, Mario et Luigi, sont également présents. Les criques se font plus petites, les éléments reviennent à notre échelle. Nous nous sentons mieux.

Comme une conclusion, la côte Amalfitaine est à la fois une synthèse et une extrapolation de tout ce que nous avons vu le long de cette route. Du relief, plus abrupt, des virages, plus serrés et des criques, plus nombreuses. Cette situation crée un bug dans la matrice, les villages sont des paradoxes : petits et denses, touristiques et traditionnels, scandaleusement chers et délicieusement simples. Rien n'est plat ici, tout est construit à flanc de falaise. Des terrasses permettent de gagner un peu de terre cultivable. Une maison a même été construite dans la cavité d'une falaise, je ne sais s'il faut la qualifier de troglodytes. Nous finissons dans la nuit noire dans un camping faute d'avoir trouvé un emplacement de bivouac.

Dans cette histoire, Pompéi et Naples font forcément office de post scriptum.

La première est une ville faite de maisons sans toits, sans fenêtres et sans habitants. Un retour dans le passé qui nous laisse aussi perplexes. Soixante-six hectares qui ne montrent presque rien. Il y a bien sûr un forum, un amphithéâtre, des temples et des termes. Même aujourd'hui, après tout, n'importe quelle ville a son lieu de culte, sa place et ses commerces. Visiter Pompéi, c'est comme se balader dans le plus banal des villages, et pourtant, celui-ci est mort depuis presque 2000 ans. Seulement, cela ne se voit pas, ne se prend pas en photo. C'est un lieu qui ne s'appréhende pas avec les moyens modernes habituels. Les plus jeunes diraient qu'il n'est pas instagrammable, sauf à se contenter des fameux moulages de corps pris dans la lave. Nous imaginons alors l'animation qui s'y déroulait simplement avant, les querelles entre clients et commerçants, les spectacles, les histoires d'amour. Et surtout, nous essayons de faire abstraction des milliers de touristes qui sont venus faire la même chose.

La seconde est au contraire bien vivante. Un potentiel énorme de gentrification mais sale et bruyante. Pour autant, faut-il vraiment la changer, au risque de lui faire perdre son âme ? Je la trouve délicieusement animée, simplement populaire dans le meilleur sens qu'on puisse donner à ce mot. Elle me procure une forme de bien être irrationnel et contraire à toute mon éthique, à tous mes principes. On a envie de s'arrêter dans chaque café, pizzeria et autre osteria au détour de rues piétonnes malheureusement un peu trop fréquentées par les scooters. Nous avons dû mal à avancer dans le flot de la foule qui se presse pour aller voir un concert gratuit organisé par la municipalité. Nous passerons les deux dernières nuits de cette étape et autant de soirées animées sur le canapé d'un généreux warmshower qui nous a gentiment accueilli.