Marins d'E.A.U douce

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Note : après Dubaï, nous sommes allés à Oman avant de revenir à Dubaï pour des raisons techniques : notre ordinateur devait être réparé et nous l'avons laissé pour venir le récupérer plus tard. Sans ce motif, nous aurions pris l'avion à Muscat. Cet article couvre nos deux passages successifs dans l'émirat.

Arrivés en bateau, nous nous sentons migrants débarquant à New-York après un voyage transatlantique. Lorsque nous posons le pied à terre, nous sommes séparés. Un bus pour les hommes, un bus pour les femmes. Ces dernières auront le privilège de passer devant ces messieurs. Nous ne sommes peut-être plus en Iran mais toujours au Moyen-Orient.

Nous savons déjà que nous allons faire peu de vélo. On pourrait même se demander ce qu'on fait là. Nous sommes juste curieux. Jamais nous n'aurions fait un aller-retour en avion pour venir jusqu'ici. Mais puisque l'occasion s'est présentée de découvrir cette cité si controversée, nous ne pouvions pas ne pas la saisir. Avant même les premiers coups de pédales, nous réalisons à quel point la ville est grande. Cinquante kilomètres de long, au moins quinze de large pour la partie la plus dense avant de s'évanouir progressivement dans le désert.

Pour cette étape sédentaire, nous avons la chance d'être hébergés par une famille, française qui plus est. Après sept mois de vélo et d'itinérance, découvrir les différentes facettes de la ville nous enthousiasme, redécouvrir notre culture nous réconforte. Nous y passons quelques jours en redécouvrant le plaisir de flâner, comme des vacances dans ces grandes vacances.

Au premier jour, nous découvrons l'évident comme si nous cherchions simplement à enfoncer les portes ouvertes. Des centres commerciaux tous plus gigantesques les uns que les autres. Tout ce que vous avez pu entendre comme activité : la piste de ski, les îles artificielles, la Burj Khalifa sont associés à des centres commerciaux. Le loisir sportif ou culturel n'est jamais bien loin de la consommation. Des groupes de touristes en voyage organisé suivent un guide. On s'amuse à imaginer le discours : "voyez ce magnifique exemple de boutique contemporaine, c'est la première à avoir ouvert ses portes ici. Vous pouvez acheter un souvenir si vous voulez". Après tout, dans la grande valse des lieux interchangeables tout juste bons à faire un arrière-plan de selfie, il n'y a pas de raison qu'un squelette de dinosaure au milieu d'un mall soit moins pertinent qu'une mosquée millénaire ou qu'un champ de lavande. Et comme disait Houellebecq, le monde est plus rassurant lorsque tous les objets ont un code-barre.

Au deuxième jour, nous ressortons les vélos. Jamais nous n'avons eu autant de mal à circuler dans une ville. Avec ses nombreuses autoroutes inaccessibles qui clôturent les quartiers, ses encore plus nombreuses voies à terre-plein central qu'il est impossible de traverser, nous devons zigzaguer en permanence, cumuler allers-retours et autres manœuvres plus ou moins légales pour pouvoir avancer. Ici plus qu'ailleurs, la voiture est reine et le vélo est, au mieux rétrogradé, le plus souvent ignoré. Et pourtant il y a Al Qudra, une excentricité parmi d'autres. Une grosse centaine de kilomètres de pistes cyclables formant un gigantesque anneau et des variantes au milieu des dunes. Dès cinq heures le matin avant qu'il ne fasse trop chaud, des téméraires viennent faire une boucle sur leur Cervélo, S-works ou BMC armés de leur petite lampe sur batterie. Selon les pays et les époques, le vélo a souvent été l'apanage des classes les plus populaires ou des plus riches. Ici, on cumule les deux mondes : le jardinier Philippin sur une bicyclette hors d'âge se fait dépasser par l'expatrié qui fait sa séance de sport quotidienne.

Notre zone résidentielle bénéficie d'un club de sport avec trois piscines, deux terrains de squash et quelques machines de musculation. Nous pouvons y accéder gratuitement à notre gré. La maison où l'on réside dispose d'un petit jardin où il commence à être agréable d'y sortir le soir. Les deux enfants de la famille ont tous leurs camarades dans le quartier. Les vacances commencent et ils peuvent se retrouver tous les après-midis dans un environnement sécurisé. La vie nous semble presque normale, très française, et nous fait oublier le bling bling extérieur. La plage, encore relativement épargnée par le béton, est suffisamment proche pour être accessible à vélo. Le soir, les voiles de kite surf viennent fleurir le ciel. Nous sommes dans les premiers jours où il est possible de sortir de l'air conditionné sans être pris de suffocations. Les sportifs en profitent et quelques baigneurs suicidaires flottent entre les planches qui s'apprêtent à décoller. On se dit alors pour la première fois qu'il y fait bon vivre, on s'imagine sortir du travail et aller directement à la baignade. On apprendra plus tard qu'on se trouve dans le quartier surnommé VVF par ses habitants. VVF comme Very Very French. Tout est dit.

Nous sommes dans une ville inachevée. Des tours et des lotissements entiers sont encore en construction, parfois pour une durée indéterminée. Des quatre projets d'îles artificielles (3 "palmes" et "The World"), seule l'une des palmes pourrait être qualifiée de presque achevée. Une autre palme et "the world" sont des amas de sable inutiles gisant à l'assaut des vagues tandis que la dernière palme n'a même pas été commencée. Dans les deux quartiers d'affaires, des tours sont en construction sans que nous sachions dire si les travaux avancent vraiment. Dubaï vit au rythme des marchés économiques. On oublie trop souvent que derrière le succès apparent, de l'argent peu cher finance de nombreux échecs. Beaucoup remettent en cause la véracité des indicateurs publiés dans cette petite oligarchie où se mélangent allègrement intérêts publics et privés. Il paraîtrait même que plusieurs gratte ciels sont vides. Cela reste un "il paraît".

Au quatrième jour, nous nous lançons dans une expédition (en bus) à Abu Dhabi, nous découvrons une ville plus ancienne. Sous la lumière jaune, nous pourrions nous trouver dans une ville américaine des films des années 80, avec ses tours de taille moyenne qui nous semblent naines à côté de celles de Dubaï. Abu Dhabi c'est pour nous surtout la ville du premier grand musée du Moyen-Orient, sous la "marque" Louvre. Le marketing n'est jamais très loin même dans la culture. La comparaison s'arrête là. Le musée se veut universaliste et présente une version édulcorée de l'histoire centrée sur le rôle du Moyen-Orient. On ne peut pas leur en vouloir. Le récit est nécessairement simplificateur, les œuvres présentées le sont plus pour ce qu'elles représentent que leurs qualités intrinsèques mais la perspective reste intéressante et rafraîchissante. Avec son parcours par époque plutôt que par art, on retrouve l'esprit du musée des Confluences de Lyon. Abu Dhabi c'est aussi une (très) grande mosquée, la 8ème plus grande du monde selon notre guide, visible à des kilomètres à la ronde, sortie de terre il y a à peine plus de dix ans. Même si son marbre blanc (du Monténégro) resplendit, on la trouve un peu trop neuve. C'est aussi une sorte de mosquée tape-à-l'œil pour touristes où on ne peut pas vraiment entrer. L'étincelle de vie et d’accueil que j'aime trouver dans ce genre de lieu est éteinte. On passe, on prend les photos et on ressort.

Nous prenons plaisir à rester une journée de plus "à la maison". On prend vite goût à faire des allers-retours entre la mer et la piscine avant de terminer par un apéro dans le jardin. Je comprends mieux pourquoi des gens-qui-détestent-les-malls restent ici. Derrière ces grandes tours, on a trouvé une ville peu dense (trois millions d'habitants) où on peut prendre l'apéritif sur la terrasse vingt minutes après avoir quitté son travail. Une ville de l'été permanent où on ne peut pas vraiment sortir 4 mois dans l'année, soit à peu près la même chose qu'en France. Mais aussi une ville colosse aux pieds d'argiles qui dépend d'un système bien fragile. On a aussi compris que quel que soit l'endroit où on vit, nous y emménageons avec notre culture, notre morale et nos habitudes. En somme une ville est faite par ses habitants, encore faut-il avoir la chance de les rencontrer.

Il est temps de remonter sur les vélos avant de ne plus pouvoir repartir. Cinquante kilomètres d'errance dans un labyrinthe d'autoroutes avant de s'extraire sur des routes un peu plus calmes. Nous traversons une dernière oasis (600,000 habitants) où nous attend Maria, un nouveau membre de notre réseau international de cyclotouristes. Nous passons la frontière pour aller vers le paradis des tortues, le sultanat d'Oman.