Je me réveille au dernier étage d'une petite auberge de jeunesse. L'esprit encore embrumé, je m'interroge sur la date. Je crois qu'on est jeudi. Je n'en suis plus certain, le nom des jours a-t-il vraiment tant d'importance ? Bien sûr le dimanche reste à part. Pas de prosélytisme religieux ici, c'est surtout le jour de fermeture hebdomadaire des supermarchés. Avec trois jours d'autonomie alimentaire, il faut bien compter.

Nous aimons ces auberges pour leur salon, leur cuisine et tous les autres lieux de vie commune où nous pouvons circuler. Pour les rencontres aussi. On peut, le temps d'une nuit, avoir l'impression d'une vie normale. Un bulletin trafic passe à la radio locale en anglais : on nous informe qu'il y a en tout et pour tout un bouchon dans un lieu anonyme pour nous étrangers, "à part celui-ci, le trafic est fluide dans notre pays" conclut le commentateur. Une fois mon second café terminé sur la petite terrasse, nous sortons. Le centre ville de Ljubljana est si petit que nous pouvons le résumer à deux quartiers : la vieille ville et le quartier des ambassades. Nous logeons dans le second, passons devant celle du Japon et de l'Allemagne, traversons quelques pistes cyclables et une place de style art nouveau. On arrive dans le premier. En bordure de la Ljubljanica, la rivière passant au milieu de la ville, de nombreux bâtiments baroques et colorés abritent pour la plupart cafés, boutiques ou restaurants. Ils sont déjà très animés. Certains touristes ou locaux n'hésitent pas à commander une bière malgré l'heure encore matinale. On n'entend pas une voiture dans cette zone piétonnisée. En levant la tête nous pouvons apercevoir un petit château de sur une colline arborée nous surplombant d'une centaine de mètres. La ville a une histoire, une architecture, est fluide et n'est pas encore accablée par le tourisme de masse. Je ne savais pas qu'il existait encore une telle capitale en Europe.

Nous stationnons quelques jours pour attendre un colis. Lenteur subie. Nous redevenons sédentaires et, pour en profiter, décidons de faire un peu de vélo. Sans les sacoches, pour changer. En quelques kilomètres, nous sommes à la campagne. Je m'imagine le dilemme de tout cycliste slovène avant chaque sortie : partir plutôt pour un col alpin encore enneigé ou vers la Méditerranée ? Grande comme deux fois l'île de France et avec la population de Paris, on pourrait faire le tour du pays en une journée. Et si la Slovénie était en France, on pourrait la loger quelque part entre la Drôme, les Alpes et les Bouches-du-Rhône. La seule chose qui m'indique que nous ne sommes pas encore arrivé en paradis des cyclistes, c'est la pluie qui tombe régulièrement. La végétation y est très verte, et on comprend pourquoi.

Pour notre balade, nous avons choisi la petite plaine qui borde le sud de la capitale. Une vingtaine de kilomètres parcourus, nous nous arrêtons au bord d'un petit lac. Lenteur choisie. Ce petit disque d'une trentaine de mètres de diamètre n'en a pas l'air mais c'est une curiosité locale : il fait 50 mètres de profondeur. Nous y contemplons les poissons qui vaquent paisiblement dans une eau transparente. En face de nous, des petites collines bien rondes couvertes de feuillus retirent progressivement leur écharpe de nuage matinaux. À côté, un homme massif passe la pelouse au détecteur à métaux laissant derrière lui de mystérieux trous tel une taupe. Des mines ou des pièces, nous ne saurons jamais ce qu'il cherchait. Pouvoir s'attarder sur une scène aussi banale avec la même passion que la visite du Louvre est l'un des luxes du cyclotouriste. Vous avez déjà feuilleté une brochure locale présentant l'histoire de tous les cailloux d'un secteur et vous demandant qui s'intéressait à ça ? Eh bien ! Je crois que nous en faisons désormais partis.

Quelques jours auparavant, nous remontions la vallée de la Soča et dès le premier jour c'était le coup de foudre. Lenteur choisie. Dans cette longue rivière que nous avons longé sur une centaine de kilomètres coule une eau transparente aux reflets émeraude. Ses rives alternent entre plage sablonneuse, rochers, gorge et petites forêts. Tout le long, nous sommes cernés par des collines couvertes de feuillus nous laissant imaginer que nous avons finalement quitté la civilisation. Derrière, nous apercevons les massifs encore enneigés pointant à plus de 2000 mètres. Si seulement il avait fait vingt degrés de plus, on s'y serait baigné. Le passage col de Vršič se mérite : après une ascension finale à 12% en moyenne sur 8km, il fait cinq degrés, il pleut et la neige est encore là. Lenteur subie. Nous devrons faire quelques pauses pour reprendre notre souffle. Le soir, deux biches nous accueillent par des cris sur un ton que l'on pourrait littéralement qualifier d'engueulade. Je ne leur en veux pas : on a oublié de leur demander la permission lorsqu'on s'est invité chez elles. Elles nous toléreront bon gré mal gré le temps d'une nuit.

Col de Vršič

Nous faisons étape à Bled, petit Annecy symbole de la gentrification du pays. Le genre d'endroit où nous pouvons manger un burger vegan dans une zone commerciale à l'allure soviétique avant d'aller prendre une glace sur un front de lac tout neuf, design et moderne. Le tout au milieu des sommets qui appellent à la randonnée. Soudain, je me sens européen. Je me dis que le développement économique de l'Europe centrale, ça fonctionne vraiment. Des valeurs écologiques me semblent partagées, et ce ne sont pas des contes d'extrême-droite. Après environ un mois passé en Italie et quatre jours en Slovénie, la seule question qu'on se pose, c'est pourquoi on n'y a pas passé un peu moins de temps pour en garder ici.

Il est désormais venu le temps de continuer. Les lieux ne s'apprécient que parce qu'on ne fait qu'y passer. Pour sûr, c'est une demoiselle discrète. Il faut prendre le temps de la découvrir et d'apprécier ses formes et ses charmes. Avec quelques regrets, nous la quittons sans faire de bruit par une route toute en virages et en vallons, à nouveau le long d'une rivière. Nous lui avons tout de même promis de revenir la voir.