Point de suspension ou points de suspension ? Les plus attentifs d'entre vous auront remarqué l'absence du s habituellement trouvé à la fin de cette expression si commune. "It's not a bug, it's a feature". Je vais aujourd'hui vous donner quelques éléments pour justifier cette petite omission.

Dans la signification principale que je veux donner ici, le point n'est ni la représentation de l'absence de dimension chère à aux mathématiciens ni l'expression de fin trouvée dans toutes les grammaires occidentales. Il nous serait d'ailleurs possible de diverger à ce moment précis vers une réflexion sur l'omniprésence de ce point, et donc de la fin, dans nos pensées. Ce sera peut-être l'occasion d'un point de vue ultérieur. Non, le point est d'abord ici l'expression de la négation et de l'absence. L'absence de suspension. Mais quelle suspension ? Et bien d'abord celle très physique du vélo pardi ! Et pourquoi donc se priver de suspension ? Les plus routards d'entre vous le savent : la suspension, c'est un poids supplémentaire, une perte d'énergie, de l'entretien et un point de fragilité supplémentaire. La suspension est un confort qui se paye à l'achat comme à l'usage.

Attardons nous un peu pour détailler l'analogie entre la suspension et toutes les protections qui nous entourent. La suspension est d'abord une coupure physique, c'est le matelas qui vous empêche de sentir la température et les aspérités de la Terre quand nous dormons. La suspension est également une coupure psychologique : c'est l’îlot de confiance sur lequel nous sommes autorisés à rester tant que nous n'avons pas épuisé tout notre capital social ou monétaire. La suspension est enfin sociétale, c'est l'Etat qui nous protège tant que nous respectons la Loi et que nous payons l'impôt. Bref, la suspension, c'est une façon de nous couper de tout l'environnement qui nous entoure et dont nous avons généralement peu ou pas conscience. A l'instar de l'homme enchaîné dans la caverne de Platon : tant que nous ne connaissons que ce monde, il nous est impossible de prendre conscience de la réalité qui existe à côté.

Point de suspension, c'est s'autoriser un contact direct et sans filtre avec le Monde. C'est l'ambition d'un sentiment de liberté au prix d'un peu d'inconfort. Derrière l'excuse de la traversée et du voyage, c'est aussi une forme d'exploration du Moi, de la découverte de nouvelles expériences sociétales et de nouvelles sensations physiques débarrassées du filtre de l'environnement moderne. C'est l'utopie du minimalisme souhaitée par de plus en plus de gens, au moins jusqu'au moment où ils l'expérimentent vraiment.

Pour autant, Il serait particulièrement prétentieux de dire que ce voyage va se faire sans suspensions. D'autant plus que nous partons avec sans doute plus de protections que bien d'autres voyageurs qui sont moins préparés ou ont un budget plus faible. Je le vois comme une direction, une sorte de principe éthique et philosophique. Peu importe l'endroit d'où on part et où on arrive, l'important est le voyage vécu : l'expérience du déplacement, des rencontres et du Monde.