Shah d'Iran et chat Persan

Ride with GPS  |  Fichier zip

Assis sous notre tente dans le désert, nous observons le soleil se coucher. Le berger qui faisait paître ses moutons à proximité s'éloigne tranquillement avec son troupeau dans un nuage de poussière. Ici, la seule ombre que nous pouvons trouver est celle des panneaux de signalisation, des ponts qui permettent à l'eau de s'écouler sous la route - lorsqu'il y en a - ou des vieilles bâtisses abandonnées. Au même instant, des lumières s'allument tout autour de nous. Des villes que nous n'avions pas repérées nous encerclent. Des milliers de lumières. La civilisation est là, juste à côté, même dans cet endroit qui nous semble si hostile au développement humain. Quand on y pense, les iraniens occupent vraiment tout leur territoire, si peu accueillant soit-il. Lorsqu'on voit ça, on comprend immédiatement que ce n'est pas un embargo qui va les arrêter.

Nous sommes dans le triangle du tourisme iranien. Kashan, Isfahan, Yazd et Shiraz sont les villes sur tous les guides de voyage. À l'instar d'autres triangles notables, la réalité iranienne ne se déroule pas comme ailleurs, comme contaminée par une exposition une peu trop longue aux influences exogènes. Tous les sites historiques, dont les mosquées, nécessitent un ticket pour y entrer. Les habitants habituellement si affables se montrent beaucoup plus discrets. Lorsqu'ils ne le sont pas, c'est pour parier sur notre nationalité ou... s'assurer si Annie est un garçon ou une fille ! Nous tournons des remakes de Mad Max : sur l'autoroute déserte, à fond sur le guidon, nous sommes pris en chasse par des motos. Parfois sur plusieurs kilomètres ils nous suivent aussi discrètement que le vrombissement du moteur leur permet, à dix ou vingt kilomètres heure. Souvent des jeunes qui trompent leur ennui, leur bêtise ou leur curiosité en errant à brûler du carburant. Les iraniens ont même un mot pour qualifier ce comportement, les dor-dor. Au mieux, ils nous demandent notre nationalité puis se lassent, c'est un moindre mal comparé à cette fois... où ils ont pincé les fesses d'Annie !

Bienvenue au pays monochrome. Cela me rappelle ces sites industriels où, pour des raisons de sécurité, le code couleur a un sens strict dénué de toute fantaisie. Ici, chaque élément du paysage ne semble être associé qu'à une seule couleur. Le sol, les montagnes, les herbes sont jaunes. Les maisons faites de briques en terre cuite ou en adobe et torchis se démarquent à peine sous la lumière blanche écrasante. C'est notre fond, la couleur de notre page quotidienne encore vierge. Les taxis sont jaunes. Les véhicules utilitaires sont bleus. Toujours. Les voitures particulières sont blanches. Un modèle quasiment unique. Toutes les motos nous semblent issues d'un même moule. Le marque du véhicule devient une fantaisie accessoire que l'on applique à une forme standardisée. Le plagiat élevé à une échelle industrielle. Le noir du chador sied aux femmes dans 80% des cas. Les publicités et panneaux lumineux criards qui tapissent tous les murs des villes reprennent ces couleurs primaires. La seule fantaisie nous semble provenir des mosquées recouvertes d'un carrelage aux motifs riches et souvent associé aux traditions culturelles de la ville passée. Par exemple, Kashan est célèbre pour ses roses, ce sont donc ces fleurs roses qui viennent égayer la surface bleue et jaune du bâtiment.

Isfahan est réputé être là moitié du monde. Ancienne capitale impériale, elle jouit de palais, de mosquées de jardins tous plus extravagants les uns que les autres. Nous avons la chance d'être guidés par une habitante - rencontrée dans une station-service - qui nous a généreusement proposé ses services. Tout paraît plus beau lorsque nous sommes accueillis. Traversée par une rivière avec de la vraie eau douce dedans, la première que nous voyons dans le pays, c'est d'abord la végétation qui nous marque : de vrais parcs ombragés au bord de l'eau et les boulevards abrités du soleil sont une sinécure. Un food truck attendant les clients nous rappelle même à notre normalité du monde. On croirait presque à un mirage. Fidèles à leur amour du volume, on ne trouvera pas ici de Versailles où de Sainte Chapelle : les joyaux architecturaux sont aussi variés que simples dans leur agencement. Des lieux souvent composés de quelques pièces au maximum. Avec une contrepartie déplaisante, le sentiment de terminer la lecture d'une nouvelle - certes excellente - alors qu'on s'attendait à ouvrir un roman.

Nous faisons l'escalade nocturne d'une petite colline à l'extérieur de la ville lorsque nous sommes rattrapés par un homme qui parle fort et avec rudesse. Bien en chair, style Pavarotti, il nous apprend qu'il est chanteur et parcourt les continents pour exécuter son art. Son cadre de travail est un peu particulier en revanche : il chante en montagne, comme on imagine les tyroliens le faire. Il insiste évidemment pour nous faire une démonstration privée. Mais pas là, un peu plus haut où l'écho est meilleur. Notre troupe renforcée de 3 nouveaux membres s'avance joyeusement jusqu'à trouver l'emplacement qui convient. Nous y sommes, la machine est lancée et on l'avoue, on est impressionné. Chaque parole se termine par un écho qui semble provenir de 300 mètres en contrebas. Son nom de scène ? Abbas Isfahani. À lui ; au Mollah qui nous a permis de visiter un mausolée à Qom et qui semblait si honnête, sincère et pieux dans sa religion ; à ce Sheikh qui nous a fait une démonstration d'appel à la prière ; À Mahsa qui nous a accueilli spontanément ; nous vous remercions de vos démonstrations d'hospitalité inestimables.

Nous donnons de notre personne pour remercier nos warmshowers : je me spécialise dans la réparation d'ordinateur. Quant à Annie, elle préfère offrir ses dessins à ceux qui les apprécient à leur juste valeur plutôt que de les vendre. Nous apprenons à remercier nos hôtes avec des sourires et des gestes qui comptent vraiment.

Un café coûte 10, une bouteille de soda 5000, un litre d'essence 10000, une bouteille d'eau 25000. Bienvenue dans la jungle des prix où se mélangent inflation galopante (rendant tous les prix indiqués dans les guides de voyage toujours obsolètes) et un affichage omettant plus ou moins de zéros devenus le plus souvent inutiles. Loin d'être systématique, nous devons prendre en compte le type de produit et le lieu pour être sûr de ne pas avoir de surprise quand l'addition arrive. On ne compte pas les fois où le commerçant un peu gêné nous explique que nous devons en fait payer dix fois le montant que nous nous apprêtions à lui donner. Vous n'avez rien compris ? C'est normal, nous on a mis trois semaines à s'y faire. Ajoutez à cela des billets dont la coupure maximale est de 8 euros (et encore ils sont rares, le standard est plutôt à 4 euros voire 80 centimes), on sort des bureaux de change avec une bonne centaine de billets qui viennent gonfler nos poches. Une chose est sûre dans cette histoire, c'est que la bouteille d'eau est bien deux fois plus chère que litre d'essence. Mais à 8 centimes d'euros, c'est imbattable.

De Isfahan à Yazd, nous traversons littéralement le désert par une petite route qui finit par se transformer en piste. Ne sachant exactement à quoi nous attendre. Nous partons lestés de 18 litres d'eau pour affronter la chaleur de la grosse lampe à UV. Le long de la route nous passons de petits bâtiments longilignes couvrant un trou d'où sort de l'eau salé. Le désert semble étonnement en regorger. Nous établissons un campement à l'intérieur d'un caravansérail laissé là à l'abandon. Nous nous sentons aventuriers de l'époque lorsque nous nous installons, comme bien d'autres avant nous, dans ce lieu qui a accueilli tant de voyageurs. À notre façon nous lui faisons revivre une nouvelle jeunesse. Au centre trône aussi une petite source couverte où flotte des cristaux de sel. Faute de pouvoir la boire, elle fait un très bon réfrigérateur. Nous pensions être seuls, quelle vanité. Premièrement, un troupeau de moutons pâture non loin, même à trente kilomètres du premier village. Puis, Annie et un serpent semblent aussi surpris et effrayés de la présence de l'autre. Enfin, le soir, nous recevons la visite de... chasseurs de trésors ! Un mystérieux pactole zoroastriste se cacherait dans le sol. Le genre suffisamment illégal que nos visiteurs préfèrent le chercher la nuit. Un ambassadeur vaguement anglophone est nommé. Il écrase un scorpion qui rôdait autour de notre tente puis nous offre son cadavre, des chips et un paquet de gâteaux en signe de paix. Ça va, il inspiré suffisamment confiance pour que nous nous endormions malgré le bruit des coups de pioche qui ne cesseront qu'aux alentours deux heures du matin. Ont-ils trouvé ce qu'ils cherchaient ? Nos nouveaux amis n'auront pas daigné nous en informer avant de partir. Au moins, nos vélos sont-ils toujours là.

Yazd, comme Kashan auparavant et Shiraz ensuite, nous offre cinquante nuances d'oasis au milieu du désert. Nous apprenons à en distinguer les traits caractéristiques : ses rues serrées plus ou moins vides qui nous font déboucher, presque sans faire exprès, sur une avenue ou une place commerciale animée, son auberge avec ses chambres réparties autour d'un patio et d'une fontaine, les tours à vent ancestrales qui s'élèvent pour "attraper" le vent et le faire redescendre, faisant circuler un air frais et agréable au niveau du sol sans la moindre consommation d'énergie ou encore ses "Jame" mosquées. Notre plaisir est d'en apprécier les subtiles différences que nous apprenons petit à petit à percevoir et surtout, de réussir à nous installer dans un endroit enfin calme.

Dans cet Iran touristique, nous apprécions rencontrer à nouveau... des touristes ! Chaque guest house - lorsque nous n'étions pas les seuls clients - a été l'occasion de petits déjeuners ou dîners enflammés, échange d'anecdotes ou de réflexions plus philosophiques - avec un Sud-Coréen devenu Australien, un Hongrois travaillant à Vienne, une Allemande qui apprend le Farsi « juste pour le plaisir » ou un Belge en voyage « zéro budget », cyclotouristes de fait ou cyclotouristes de cœur. Nous apprécions à nouveau le bonheur de pouvoir tenir une vraie conversation.