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Nous avions préparé ce jeu de mot bien avant d'arriver sur l'île. Après coup, je ne suis pas sûr si elle le mérite vraiment. Deux choses m'auront marqué en Sicile : l'Etna et… les déchets.
On nous avait prévenu mais il est difficile d'en réaliser l'importance avant de l'avoir vu : l'île est sale, et c'est un euphémisme. On a commencé à le remarquer dès la sortie du bateau à Palerme. La ville est certes plutôt avenante et ses divers quartiers ont bien d'autres choses à montrer : un vieux marché qui nous fait diablement penser à un souk du moyen orient, de petites rues piétonnes, des vieilles bâtisses avec juste ce qu'il faut de défraîchi, quelques imposants monuments et de quoi se restaurer à foison. On prend plaisir à flâner dans cette grande cité chargée d'histoire, à s'arrêter prendre un café ou quelques fritures. Enfin, au moins en dehors des périodes de (sur)fréquentation estivale. Et on ne fait pas trop attention à ce qui traîne à nos pieds.
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En fait, c'est en sortant de la capitale que nous commençons à les voir. Nous arpentons de petits axes secondaires, bien loin des zones habituellement fréquentées par les touristes. Le bas-côté est jonché de sacs poubelles, emballages et autres carcasses d'électroménager. Nous passons une rivière qui s'écoule paisiblement et nous apercevons un vieux sofa a été jeté au milieu d'un îlot central. Nous nous arrêtons brièvement sur une aire de stationnement sur le côté : elle s'est transformée en déchetterie improvisée. Alors oui, on a entendu des histoires de mafia, mais le décalage avec la Sardaigne est tellement important qu'il en devient choquant.
Après avoir dépassé ces immondices, d'autres surprises nous attendent. La route s'incline sérieusement vers le bas pour laisser apparaître sans prévenir un passage à gué improvisé, nous le traversons à pied (nus) de peur d'être déséquilibrés par le courant. Et elle remonte juste après, transformée en chemin carrossable à 14%. Nous, on remontera à pied. La suite est du même ton : des routes défoncées ou grossièrement patchées, des pans de voie effondrés. Nous tomberons même sur une zone recouverte par une coulée de boue, issue probablement d'une violente tempête de l'hiver précédent. Là, un camping-car est encore à cheval sur le parapet de sécurité, comme stoppé dans une tentative de fuite. Et tout cela sans compter tous les bâtiments en friche dont la construction n'est pas toujours terminée. Certains de ces chantiers sont même à vendre. On en viendrait presque à penser que nous voyageons dans un pays sinistré ! On s'attendait à voir cela lors de notre voyage, certes, mais pas en Italie.
Nous changeons donc nos plans pour passer par un itinéraire un peu plus fréquenté mais en fait plus roulant et plus agréable à vélo. On avait rapidement fait l'amalgame entre nos effrayantes routes nationales françaises et les Strade Statali (SS). Elles sont en fait tout à fait praticables à vélo, enfin à condition de bien les choisir. La leçon est prise : même avec Open Street Map, il est difficile de choisir ses routes sans avoir eu un aperçu de chaque type et des habitudes des automobilistes.
Deux moyens permettent de tenter le sauvetage de l'environnement. La première, c'est la privatisation. Nous passons à côté de nombreux lotissements, aires de pique-nique, resorts, clubs, plages dont l'accès est réservé et payant. Le nombre de ces enclos à humains est tout bonnement incroyable, d'autant plus sur la côte. Nous avons parfois l'impression de visiter un zoo, même si ce dernier semble quand même un peu vide et fermé en basse saison. La route remonte ensuite comme pour s'élever au-dessus des déchets, comme si ces derniers restaient ou tombaient inexorablement en bas de l'île. Nous entrons dans le parc national de la Madonie. On en trouve bien encore un peu (on ne change pas les bonnes habitudes) mais c'est sans commune mesure avec ce qu'on peut voir ailleurs. Les grillages laissent place aux pâturages, nous avons enfin l'impression de respirer, d'avoir un peu de paix.
Comme enfin libérée, la nature se rappelle alors à nous. Le vent souffle, et de plus en plus fort. Parfois pour nous pousser, mais bien évidemment, le plus souvent, pour nous retenir. A moins que ma mémoire me fasse défaut. La pluie aussi finit par s'en mêler, et viennent enfin la grêle et les éclairs. Tous les éléments se sont donné rendez-vous pour l'apocalypse, et nous sommes à 10km/h, en descente. Nous sommes trempés, autant avancer. On se sent vivants et fragiles, libres et vulnérables.
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Enfin on le voit et on devient simplement humble. L'Etna, 200km de périmètre à sa base, 3200 mètres d'altitude. D'en bas, on a du mal à le distinguer pourtant. Le Sirocco souffle du sud apportant brume, poussière et brouillard. Il a constamment la tête dans les nuages, comme le souvenir des intempéries des jours précédents. Nous choisissons la solution facile pour y aller : nous plantons la tente dans un camping de Nicolosi, 800 mètres d'altitude, et prenons le bus pour la journée. Nous apercevons quelques cyclistes courageux qui font l'ascension sur une route zigzaguant au milieu des coulées de basalte. Le Ventoux n'a rien inventé. En haut, le paysage est tout autant lunaire, juste plus gris. Des plaines immenses de basalte sont zébrées de neige encore immaculée mais sur le point de disparaitre imperceptiblement. En faisant un peu plus attention, on distingue de nombreuses couleurs minérales : ocre, jaune, bleue, chacune associée à un type de pierre. Le volcan est de type explosif. Il est constellé de nombreux cratères faisant parfois plusieurs centaines de mètres de diamètre et plus de cinquante mètres de haut. Nous en parcourons quelques-uns. Toutes les dimensions ici sont vertigineuses.
Le dernier jour sur l'île de déroulera comme le premier : retour à la civilisation dans ce qu'elle a de moins élégant, nous traversons un front de mer urbanisé immense s'étalant sur des dizaines et des dizaines de kilomètres. Seul le standing change. Là où la banlieue de Palerme nous rappelait des lieux peu glorieux de la banlieue parisienne, l'est de l'île nous fascine par ses criques, ses presqu'îles, ses hôtels de luxe et des villages traditionnels. Nous arriverons juste avant le départ du bateau pour San Giovanni. Un vieux monsieur italien enthousiaste nous prendra en photo, nous posera quelques questions et nous confortera dans notre choix : la prochaine destination sera Naples.
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