"Toi, tu t'appelles Nathalie avec tes yeux bridés et ta face de citron." Une réplique de sketch des Inconnus que j'ai vu maintes fois pendant ma jeunesse et qui me fait beaucoup rire. En revanche, moi je m'appelle Annie.
Cela a commencé en Turquie et continué en Iran. Je vis au quotidien ce qu'on appelle le racisme ordinaire. A croire qu'il faut que je l'accepte, mais moi, ça ne me laisse pas indifférente et me frustre.
Les questions fréquentes que les curieux locaux nous posent le plus souvent sont : où allez-vous ? Combien avez-vous fait de kilomètres depuis la France ? Où dormez-vous ? Mais la première question est toujours : d'où venez-vous ? C'est-à-dire, de quel pays venez-vous ? Question simple - réponse simple que nous avons apprise par cœur. Nous répondons avec joie : Nous sommes Français. Normal, c'est écrit sur mon passeport noir sur blanc, inscrit dans ma culture, instruit dans mon éducation, et même ancré dans ma gastronomie. J'en chanterais la Marseillaise avec la main sur le cœur. Ils comprennent que Steven avec son visage caucasien est français puis ils se tournent vers moi d'un air dubitatif. En me pointant du doigt ou de leur menton, ils débitent une série de qualificatifs : Chinois ? Coréen ? Japonais ? J'ai même eu droit à "Tadjike ?".
Ils m'apposent une étiquette systématiquement. Mon visage ne ressemble pas à leur imaginaire Européen de type arien : blanc de peau, cheveux fins et grands yeux. Ils insistent pour connaître les "origines" de mes parents. Je trouve la question indiscrète mais je leur réponds poliment. Ils sont Chinois. Un air de satisfaction brille dans leurs yeux et semble dire "je le savais, tu ne peux rien me cacher". Ils ne retiennent que l'unique mot "Chinois". Une fois ça va. Cette scène répétée encore et encore me crispe et annihile toute curiosité. Voilà comment par un simple délit de faciès, je suis cataloguée.
Nous avons rencontré un Belge. De ses parents italiens, il a hérité d'une peau bronzée et de cheveux bouclés. Au Liban, on l'a pris pour un Israélien. En Iran, on l'a pris pour un Afghan. De nombreux Libanais méprisent les Israéliens, de nombreux Iraniens n'aiment pas les Afghans. Il a reçu des violences physiques et verbales, on l'a poursuivi dans la rue. Il prouve qu'il est Belge et leur comportement change du tout au tout. Un voyageur Maghrébin nous envie car lui n'a jamais reçu d'invitation des Iraniens comme nous avons si souvent eu. Malgré tous les récits positifs sur les blogs de voyage, sur l'hospitalité (que nous avons également reçue), la réalité sur le racisme existe. Il faut le vivre pour s'en rendre compte.
Parfois sans même daigner me regarder, ils s'adressent uniquement à Steven. Pourtant je leur avais adressé la parole quelques secondes auparavant. La misogynie est récurrente en Iran.
Ils s'adressent uniquement à Steven.
Ils saluent Steven. Ils serrent la main de Steven. Ils offrent fruits, légumes, gâteaux à Steven. L'hospitalité ne pardonne pas tous les autres comportements.
J'ai eu droit à des séances de photos selfie avec des inconnus qui n'avaient jamais vu d'asiatiques (ou uniquement à la télévision : les ondes iraniennes diffusent des émissions provenant de la Chine et de la Corée sous-titrées en persan.) voire d’étrangers. Nous sommes interpellés dans la rue et on nous demande toujours très cordialement si une photo est possible. Nous acceptons mais sommes toujours intrigués par la finalité de cette démarche. Cette situation ne se réduit pas aux asiatiques en Iran. Un couple de Français est allé en Inde, on leur a tendu un bébé dans les bras le temps d'une séance photo. Nous sommes certains que des scènes similaires se produisent en France.
Les plus cultivés et instruits comprennent que je suis Française sans rien me demander de mes origines. Ils rient du comportement de leurs compatriotes et s'en excusent. On ne met pas tout le monde dans le même panier.
Je n'avais qu'une hâte après être restée 3 mois cumulés en Turquie et en Iran, c'est de les quitter. C'est regrettable alors que le plaisir de traverser ces grandes étendues, admirer ces paysages, écouter leur riche passé historique m'ont fait évader de mon quotidien.
En conclusion, nous trouvons une parade. Nous nous inventons notre nationalité. Selon l'humeur, nous disons que nous venons du Kazakhstan. A ce manège, ils ne creusent pas davantage. Ce n'est pas pour se moquer d'eux. On voudrait juste passer pour des voyageurs anonymes le temps d'un çai.
Sans rancune, nous gardons une pensée affectueuse pour nos amis iraniens.