Je suis venu, j'ai vu et j'ai fait (un peu) de vélo. Avec des étapes comme Rome, Florence ou encore Venise, notre voyage à vélo en Italie du Nord devient pointillé.

Dans le Lonely Planet, près de 100 pages sont consacrées à Rome : le Colisée, le Palatino, le Vatican et j'en passe. Je n'en parlerai pas. Je ne m'attarderai pas plus sur les gondoles, Léonard de Vinci ou l'art Renaissance. Notre fidèle monture impose son rythme, détourne le regard, l'élargit, change les perspectives. Voyager à vélo, c'est surtout traverser des espaces où les touristes ne s'arrêtent jamais, voire ne vont pas, faute de transport pour y accéder. J'espère secrètement que cela restera ainsi : après les marées humaines rencontrées dans les grandes villes, nous avons ce privilège de pouvoir nous arrêter au bord d'un lac. Les roseaux forment nos murs, nos voisins beuglent, croassent ou cancanent. On ne va pas se mentir, la plupart du temps, ce sont des lieux anodins. On réapprend l'humilité en cherchant l'étincelle dans la banalité de la vie de tous les jours.

De Naples à Rome : la tempête de sable

A 30km de Rome se trouve la mer et plus précisément la plage, Lido Di Ostia, où tout le monde va. Quelques dizaines de kilomètres de sable fin, une succession de parkings et de zone balnéaires. A notre arrivée, le vent souffle fort, crée des tornades de sable. Le ciel est rouge. Les bâtiments nous semblent encore plus jaunes que d'habitude. Les rues se sont vidées de leur piétons et seules quelques voitures bravaches osent encore sortir. Le vent lourd en minéraux nous oblige à porter des lunettes de soleil malgré la protection offerte par les nuages épais. La concentration nécessaire pour parer à toutes les surprises ajoute à l'effort supplémentaire nécessaire pour aller contre des bourrasques imprévisibles. Nous nous sentons Don Quichotte face aux moulins à vent. Un parc naturel semblait, sur la carte, être l'emplacement idéal pour bivouaquer ; nous nous retrouvons à longer une clôture. "Steven : bon, je crois que ce n'est pas ouvert au public. Annie : ah ouais, tu crois ?" Nous nous rabattons sur cette plage en espérant trouver un endroit discret où dormir. Le temps maussade laisse la plage déserte. Nous nous promenons sans voir personne jusqu'à tomber sur des amateurs de la petite reine, accessoirement sauveteurs en mer et moniteurs de planche à voile. Ce n'est pas commun. Ils nous proposent de planter notre tente dans leur "bureau" : l'arrière-court d’un modeste bâtiment entouré d'arbres : table sous un auvent, eau chaude et électricité. Le confort du camping sans les voisins. La formule inclut même un vrai café italien le matin et une invitation sincère pour revenir manger de véritables spaghetti à l'italienne. Pietro est paraît-il un excellent cuisinier.

De Rome à Florence : le train

Prendre le train avec des vélos est une aventure en soi. Les autres voyageurs ont une réaction tout aussi imprévisible que celle d'un chien au bord de la route : le dé présente une multitudes de faces allant de la nonchalance la plus plate à la poursuite en montrant les crocs. En moyenne je dirais : 50% d'indifférence, 40% de haine farouche, 10% d'enthousiasme saupoudré de curiosité. Ces pourcentages varient aussi bien en fonction de la fréquentation que de la qualité de la boulangerie-patisserie. Sur le papier, tout est parfait. Nous allons jusqu'à prendre un billet vélo directement dans les automates. 10 minutes avant le départ, nous commençons tout de même à nous inquiéter : le numéro de quai n'est toujours pas indiqué. 8 minutes avant le départ, le réconfort est de courte durée lorsque nous réalisons que non, c'est sûr, le quai 2ter qui vient de s'afficher ne se situe pas entre le 2 et le 3. Nous nous pinçons mutuellement pour être sûrs que nous ne sommes pas dans Harry Potter. 5 minutes avant le départ, nous commençons à courir : après avoir abdiqué sur la demande d'informations, nous avons débusqué LE panneau qui indique une autre section de la gare à 400 mètres. Au terme d'une course effrenée, nous sautons dans un wagon quelconque faute d'avoir trouvé une indication d'emplacement vélo. Comme tout bon film d'action qui nécessite un combat final, nous vous devons un dernier shot d'adrénaline : le contrôleur nous explique que, au prochain arrêt, nous devrons sprinter pour changer de rame et remonter tout le train. Ouf ! Jusqu'à la prochaine correspondance : nous aurons 8 minutes pour changer de train. Nous finissons enfin par nous relaxer lorsque, 10 minutes avant ladite correspondance, le contrôleur nous indique que ce sera juste en face. Heureusement que nous ne prend pas le chemin de fer tous les jours.

De Florence à Bologne : le nord

Quelle n'a pas été notre surprise de découvrir des vélos dans les rues. Des vélos partout ! Dans un voyage partant du sud de l'Italie vers le nord, Florence marque le début de l'Italie cyclable. À partir de ce moment, nous en avons vu partout, des jeunes et des plus anciens de déplacer à bicyclette dont l'âge semble le plus souvent corrélé à celui du propriétaire. Serions-nous aux Pays Bas ?

En arrivant à Bologne, il pleut des cordes et il fait froid. On commence vraiment à douter : ne serait-on pas passé dans le nord de l'Europe ? Pour ajouter encore au dramatisme de la situation, nous tombons sur des routes fermées. Il paraît que le Giro part de Bologne. Et c'est aujourd'hui. Ce Giro restera un fantôme pour nous. Partout nous voyons des barrières et des courageux qui attendent sous la pluie. Après plusieurs déviations, dont un chemin boueux et un escalier, on est acculés. Des policiers empêchent des piétons de traverser en attendant les vélos. On attend dix minutes, et ce sont des voitures qui arrivent. Jamais nous n'aurons vu un cycliste. Au demeurant, je déconseille Bologne sous les averses.

De Bologne à Venise : l'eau

Le bivouac, maintenant, on maîtrise : une petite pinède fait toujours l'affaire. Dans cette région, il faut changer de stratégie et on tente le bord de rivière. On aime voir les choses en grand, pourquoi pas sur le Pô. Il est 18h30, on s'installe dans une aire constituée de quelques peupliers, d'un terrain de pétanque et d'un petit quai flottant près du petit village de Papozze - un nom parfait pour un lieu de bivouac. On se dit qu'on va être tranquilles. 30 minutes s'écoulent, une voiture arrive, s'arrête et repart. Une deuxième. Une troisième vient se garer juste à côté de notre tente. Un vieux monsieur en sort et va vers le quai. On l'ignore. Il revient, nous dit bonjour en italien, on répond poliment. Il enchaîne, on est perdu. On se contente d'un habituel "non capisco italiano", il s'en va gentiment, un peu déçu. Le doute s'immisce, je crois qu'il nous a proposé une douche. On regrette d'un coup de ne pas avoir pris LV2 Italien au lycée. Nouvelle voiture, nouveau pêcheur. Il nous salue, file dans sa barque. Et encore une. Le garde-pêche, il vient contrôler le niveau de l'eau. Il parle français, nous raconte qu'on devrait être tranquilles ce soir, sauf peut-être si des braconniers hongrois viennent pêcher en plein milieu de la nuit. "Mais ne vous inquiétez pas, ils ne font que passer". Ils ont péché un cadavre une fois, nous dit-il en interpellant son ami encore sur son bateau. Ils rigolent ensemble. "Le Pô c'est quand même le plus grand fleuve d'Italie, alors ça en charrie des trucs". Ce soir-là, on a bien attaché les vélos, et on a bien dormi.

La baie autour de Venise est gigantesque, environ 40km de long, 20km de large. Il y a deux moyens pour accéder à la cité flottante, où les vélos sont interdits. Le plus évident est un pont de quelques kilomètres de long, soutenant une "deux fois deux voies" et une voie ferrée. A l'express, nous préférons l'omnibus. Venant du delta du Pô, nous passons par la petite ville de Chioggia à l'extrême sud de la baie. Avec ses deux canaux et sa petite lagune, c'est une petite Venise en soi. Les vélos y sont les bienvenus. Nous sautons d'île en île par un agréable mélange de bateau et de vélo pour atteindre, 30km plus loin un camping, espace de verdure au calme, à seulement 20 minutes de bateau de l'enfer touristique.

L'Italie, c'est fini

On ne peut pas se tromper. On continue à longer les derniers resorts et canaux qui peuplent les plaines de l'Est mais au loin, pointent quelques montagnes qui grossissent au fur et à mesure de notre avancée. Ce qui nous semblait être le reflet du soleil s'avère être de la neige sur des sommets saillants à plus de 2000 mètres. Notre voyage en pointillés va redevenir hachuré.